L’Étage en faits et dates (1980 -2010)
La création de L’Étage est l’aboutissement d’une dizaine d’années de travail informel mené avec le soutien des Églises protestantes qui créèrent, au début des années 70, une aumônerie dans l’enseignement technique. En 1978, Jean Michel Hitter devient aumônier à plein-temps. Il assure des permanences auprès des jeunes issus des milieux populaires au collège d’enseignement technique de la rue des Bateliers, aujourd’hui lycée Jean Geiler de Kaysersberg. Il organise chaque année, avec une équipe de bénévoles, des camps d’été dans le Queyras, en Gironde et dans la Drôme.
En 1979, ils ouvrent un local, au premier étage de la maison de concierge de l’ancienne école Saint-Guillaume, rue Ernest Münch. Couramment désigné sous le nom de L’Étage, le local accueille quotidiennement une cinquantaine de jeunes. Tout ce petit monde est bien à l’étroit dans moins de 25 m². La Ville de Strasbourg s’étonne de l’affluence de jeunes qui, habituellement, boudent les structures construites pour eux et propose des locaux plus vastes.
Constitution de l’association
L’association doit servir de support aux activités. Elle prend tout naturellement le nom de “club de jeunes L’Étage”. Jean Michel Hitter en est élu président.
Emménagement quai des Bateliers
Le nouveau local ouvre en septembre 1981. Il est en piteux état, mais la fréquentation par rapport à la rue Ernest Münch triple dès le troisième jour avec 148 passages de jeunes. Les travaux d’aménagement, réalisés avec les jeunes, s’étalent sur plus d’une année. Plus qu’un espace de détente, L’Étage est un lieu de rencontre.
Les jeunes sont des élèves ou des apprentis scolarisés dans l’enseignement technique. Outre les problèmes inhérents à cet âge, ils sont souvent en échec scolaire. Le souci majeur de l’équipe est de les accueillir et de les écouter.
Premier stage de formation
Le rapport de Bertrand Schwartz sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes (1981) permet la création des missions locales et des premiers stages d’insertion. L’équipe de L’Étage organise un stage de formation pour 15 jeunes. Daniel Sibold et Marie-Anne Hitter, tous deux enseignants, se mettent en disponibilité pour l’animer.
Première apparition de jeunes à la rue dans Strasbourg
Ce phénomène encore embryonnaire à Strasbourg a déjà pris des proportions importantes dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Francfort ou Berlin. Une aggravation rapide de la situation est à craindre. L’exclusion tend, en effet, à s’accentuer.
Diversification des publics de L’Étage
La population des jeunes qui fréquente L’Étage se caractérise par une grande diversité : aux élèves des lycées d’enseignement professionnel voisins se joignent des jeunes du quartier, de jeunes salariés précaires, des chômeurs, d’anciens élèves qui n’arrivent pas à trouver une place dans le monde du travail et viennent parler de leurs difficultés à accéder à un hypothétique emploi. La société à deux vitesses et la nouvelle pauvreté deviennent de plus en plus visibles.
En 1985, L’Étage reçoit en moyenne 60 à 130 jeunes par jour. En 1986, la fourchette se resserre autour de 100 jeunes minimum. Avec la crise économique, le nombre des jeunes chômeurs augmente.
Ouverture du Resto
Pour répondre à une situation de crise et de détresse, Marie-Anne Hitter et Thomas Stenger, objecteur de conscience au Secours populaire, proposent d’ouvrir un restaurant presque sur un coup de tête, à la suite de la destruction de tonnes de nourriture par un supermarché de la ville. « Notre plus cher désir est de pouvoir passer le plus vite possible à autre chose », annonçait Marie-Anne, le jour de l’ouverture. Grâce à un appel à dons et à l’aide de l’État, un salarié est engagé à mi-temps, pour encadrer une équipe de bénévoles et de six jeunes engagés dans un TUC (travail d’utilité collective). L’État fournit du lait et de la viande congelée mais il faut trouver le complément. Des circuits alternatifs de collecte de nourriture se mettent en place.
Création de la Banque alimentaire du Bas-Rhin
L’Étage est, avec une douzaine d’associations locales (comme Emmaüs, l’Armée du salut, etc.), l’un des fondateurs de cette Banque.
Accueil des jeunes sans domicile à L’Étage
L’ouverture du Resto permet de mesurer l’évolution rapide du phénomène des jeunes à la rue. De 223 jeunes sans-abri accueillis à L’Étage en 88-89, on passe à 408 en 90-91.
Qui sont ces jeunes et comment vivent-ils ?
– La moitié d’entre eux a moins de 22 ans ; 25 % sont des filles ; 60 % sont originaires de Strasbourg et des environs.
– 80 % d’entre eux n’ont aucun revenu licite ; 20 % sont en cours de formation, travaillent en intérim ou exercent un emploi généralement précaire.
– La moitié d’entre eux est à la rue depuis plus de 3 mois, parfois depuis plusieurs années.
– Leur survie s’organise surtout autour d’un abri pour la nuit : caves, entrées d’immeubles, chantiers, wagons de chemin de fer stationnés dans la gare basse de Strasbourg, immeubles promis à la démolition, squats.
Ces jeunes sont presque toujours issus des familles les plus pauvres socialement et culturellement. Plus de 50 % d’entre eux ont un passé en foyer de l’enfance. Ils cumulent une succession de ruptures familiales et d’échecs scolaires, professionnels.
Les états de marginalité des jeunes en galère sont très hétérogènes et varient d’un groupe, voire d’un individu à l’autre. Pour ces jeunes, c’est l’insécurité qui caractérise leur survie dans la rue. La loi du monde de la rue n’est autre que celle de la jungle.
Agrandissement des locaux
L’occupation du logement au premier étage du 19 quai des Bateliers permet de mieux recevoir les demandeurs et de leur proposer un suivi social.
Constitution de l’Association d’accueil
et d’hébergement pour les jeunes
Suite à l’appel lancé par Jean Michel Hitter aux associations et aux pouvoirs publics, l’Association d’accueil et d’hébergement pour les jeunes (AAHJ) est constituée.
Il faut néanmoins maintenir la pression. L’Étage envoie des faire-part lors de décès de personnes mortes dans la rue, fait paraître des annonces dans la presse et organise des rassemblements.
Création et mise en place d’un plan d’hébergement temporaire à l’initiative de L’Étage (1988-1991)
Ce dispositif n’est pas la panacée, mais il a rendu de réels services pendant 18 ans.
Entre 1991 et 1998, bon an mal an, le plan d’hébergement temporaire (PHT) strasbourgeois enregistre 43 797 nuitées, dont 5 260 nuitées pour les moins de 25 ans. Pour ces jeunes, L’Étage est le principal lieu d’entrée dans le dispositif.
À partir de 1999, l’augmentation est constante – 5 786 en 1998, 6 606 en 1999, 5 555 en 2000 et 8 662 en 2001. Cette augmentation du nombre des nuitées témoigne de situations plus difficiles, qui nécessitent des périodes de prise en charge plus longues.
L’Étage organise aussi, entre 1989 et 1991, un accueil en appartements de jeunes SDF.
Participation à des rencontres internationales
Ces rencontres, qui ont lieu à Strasbourg, en Italie, au Portugal, etc., ont trois objectifs : ouvrir l’horizon des jeunes et de l’équipe de L’Étage, faciliter la coopération avec des structures ayant des activités similaires et faire entendre la voix des jeunes en difficulté dans des lieux de décision comme le Parlement européen.
Création du Réseau express jeunes
Le Réseau express jeunes est né après un séminaire international de travailleurs sociaux, organisé par le Centre européen de la jeunesse, en novembre 1991. Il s’est constitué en association de droit local en 1993.
Actions de mobilisation
Avec la mise en place du fonds d’aide aux jeunes (FAJ), des aventures collectives et des projets “fous” se multiplient. L’objectif est de susciter un déclic chez ces jeunes en galère, d’insuffler une dynamique, de leur faire changer le regard qu’ils portent sur eux et les autres. Le pari est de faire perdurer la dynamique au-delà du temps de l’action et d’élaborer, avec chaque participant, une stratégie adaptée à ses aspirations et à ses possibilités.
On peut citer le projet Ailes du désir qui conduira 10 jeunes à suivre des cours de pilotage et à construire un avion, dans le cadre d’un partenariat avec l’association Avion passion ou encore la réalisation avec l’artiste Gayal d’une œuvre éphémère faite de 1 500 kg de glace et suspendue devant le portail de la cathédrale, réalisation qui mobilise une douzaine de jeunes à la rue pendant près de deux mois.
Quelque amélioration (1991-1992)
Les effets cumulés des mesures mises en place en faveur des jeunes les plus en difficulté, comme le FAJ et le PHT, commencent à se faire sentir. Ces dispositifs qui prévoient une forme d’aide à l’insertion ont, d’une manière visible à L’Étage, une influence importante sur le comportement et la psychologie collective des jeunes sans logement.
Mise en place d’un service social (1991-1995)
Jusque-là, c’est autour des tables du Resto que surgissent les appels au secours. L’animateur discute avec le jeune en butte à des difficultés, lui donne des conseils, un coup de pouce, puis le réoriente vers des instances spécifiques.
Deux raisons déterminent la création d’un service social à L’Étage : “réorienter” les demandes vers des services au moins aussi désarmés que L’Étage ne sert pas à grand-chose. De plus, avec la mise en place successive du FAJ puis du PHT, l’équipier qui transmet les demandes des jeunes accepte ipso facto d’être leur référent.
Premières domiciliations postales
La montée en charge de ces domiciliations est rapide : de 125 en 1992, on passe à 457 en 1999, à plus de 600 en 2008 ; et à plus de 400 en 2011 avec un fonctionnement plus strict depuis la loi droit au logement opposable (Dalo).
Renouvellement de l’équipe
Jean-Luc Roos, Marie-Anne Hitter et Michel Roth cessent d’être salariés de L’Étage tout en restant actifs au sein de l’association.
Jean Michel Hitter change de statut. Le président fondateur bénévole devient secrétaire général salarié de l’association. Boualem Ayad est élu président.
L’Étage embauche Jacques Buisson, son premier éducateur spécialisé.
Délivrance de la carte santé
L’Étage s’associe à la mise en place d’un dispositif opérationnel pour la délivrance de la carte santé à des jeunes de moins de 25 ans. Plus de 700 jeunes y auront accès au cours des années suivantes.
L’accès aux soins s’en trouve facilité. Les jeunes bénéficiaires n’hésitent plus à faire appel à un médecin de leur choix. L’effet préventif est tout aussi important : vaccinations, dépistages de maladies, etc.
Rénovation complète des locaux
La cuisine, le sous-sol et la salle du restaurant sont entièrement rénovés et mis aux normes. Un passage vers la cour et de nouveaux WC sont aménagés.
Professionnalisation et pérennisation des emplois
Le dispositif emplois jeunes permet de faire face à la fin du service national. Jusque-là,
40 objecteurs de conscience s’étaient succédé pour assurer l’accueil dans les bureaux et au restaurant.
Une équipe permanente d’accueil et d’animation se met en place.
Le processus de professionnalisation permet de pérenniser ces emplois.
Opérateur du dispositif TRACE
Destiné aux moins de 25 ans en situation d’exclusion, TRACE (trajet d’accès à l’emploi) propose la mise en place de parcours individuels d’insertion d’une durée maximale de 18 mois, articulant des périodes de mise en situation professionnelle et des temps de formation, avec l’appui d’un référent. Entre 1998 et 2001, L’Étage, retenu comme opérateur, suit 150 jeunes dans ce cadre.
Gestion de chambres d’urgence, rue de Lausanne
L’année de ses 20 ans, L’Étage répond pour la première fois, au terme de vives discussions internes, à un appel d’offres lancé par l’État, la Ville de Strasbourg et le Département du Bas-Rhin et portant sur la gestion de 21 chambres d’urgence au sein de la résidence sociale gérée par la Sonacotra rue de Lausanne.
Alerte citoyen, qui réagira sinon toi !
Toute l’équipe de L’Étage est présente, pendant trois jours, place de la Gare, dans le cadre de la manifestation Alerte qui avait pour objectif de rendre visibles les difficultés des plus démunis et le travail social accompli.
Au cours de cette même année, L’Étage perd deux de ses salariés : Vincent Ruet doit cesser toute activité professionnelle suite à un accident médical et Marie-Anne Hitter décède brutalement le 28 décembre.
Développement de nouveaux services
Pendant la longue maladie de Jean Michel Hitter, Jacques Buisson prend les commandes de L’Étage. Une nouvelle étape s’amorce avec le développement de nouveaux services notamment autour du logement, de l’aide à la parentalité et de la santé.
Participation active au réseau périnatalité
Ce réseau regroupe les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, le Conseil général du Bas-Rhin et la Ville de Strasbourg. L’objectif est d’accompagner et de trouver des solutions d’hébergement à des jeunes femmes enceintes en situation de grande précarité.
Mise en place de lits de convalescence pour des personnes sans domicile stable
Cet hébergement de type hôtelier, le temps de la convalescence, est assorti d’un accompagnement social qui veille à la continuité du suivi médical et de l’intendance. Il concerne une soixantaine de personnes par an.
Accompagnement dans le cadre du kit jeunes insertion logement (JIL)
L’Étage est mandaté par le Conseil général du Bas-Rhin pour accompagner dans leurs démarches des jeunes de moins de 25 ans, salariés ou en formation, sécuriser leur parcours d’accès au logement, apporter un cautionnement aux propriétaires.
Gestion de places CHRS et de stabilisation
En mai 2007, avec la mise en place du plan d’accès renforcé pour les sans-abri (PARSA), des places de stabilisation et des places en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) se substituent aux places du plan d’hébergement temporaire (PHT). L’Étage gère 29 places CHRS et 10 places de stabilisation.
Ouverture de la maison d’accueil Erholung
Dans l’ancien presbytère protestant d’un petit village alsacien, la maison d’accueil Erholung accueille quelque temps des jeunes afin de les aider à se reconstruire. Cette maison a pu ouvrir grâce au soutien de nombreux amis et le concours décisif de la Maison du diaconat de Mulhouse.
Élection d’un nouveau président
Jean-Paul Hill remplace Boualem Ayad, président du conseil d’administration de 1994 à 2007.
Transfert de la formation professionnelle au CPCV Est
Pierre Vayssade, équipier de L’Étage de longue date, en prend la direction.
Constitution de l’Union protestante d’associations d’entraide
Cette union de cinq associations, dont L’Étage, mobilise une centaine de bénévoles et autant de professionnels salariés. Elle est présidée par Jean Michel Hitter.
Création du dispositif d’intermédiation locative Iobel
Pour éviter à certaines personnes de basculer de leur logement à un hébergement d’urgence, L’Étage loue des appartements dans le parc privé et se porte garant auprès de leurs propriétaires contre les risques d’impayés tout en assurant l’accompagnement des locataires. En septembre 2010, plus de 45 baux sont signés.
Création d’un service de médiation familiale
Un local adapté est aménagé et des outils de communication élaborés. La médiatrice familiale, Dorothée Hoeffel, reçoit des jeunes adultes en conflit, voire en situation de rupture familiale, et leurs parents. Ce service est conventionné par la CAF du Bas-Rhin.
Création d’une microcrèche sociale
Le P’tit Home à l’étage accueille des enfants dont les parents ont un mode d’hébergement précaire ou sont sans ressources. Ce lieu stable permet aux enfants de trouver une sécurité certaine et aux mamans de souffler un peu. L’Étage et le Home protestant cogèrent la crèche avec le soutien de l’Union protestante d’associations d’entraide.
Participation à la mise en œuvre du pass’accompagnement
Soutenu par le haut-commissariat à la Jeunesse, ce dispositif du Conseil général du
Bas-Rhin propose un accompagnement spécifique des jeunes pour un accès à un logement autonome.
Partie prenante dans la Maison des adolescents
Co-signataire du groupement d’intérêt public constitué pour porter la Maison des adolescents, L’Étage participe également à son fonctionnement. Son équipe de prévention et sa médiatrice familiale y interviennent, assurent des consultations et apportent leur expertise.
à suivre…